Ay! Carmela

Publié le 22 Mars 2015

Ay! Carmela

Retrouver sur scène les co-directeurs du théâtre de l'Eveil, Guy Pion et Béatrix Ferauge, dans une pièce mise en scène par Carlo Boso, c'était, comme je pense vous l'avoir dit en septembre en vous parlant de mon programme de cette saison, un gage de qualité. Et le rappel de belles réussites et de merveilleux souvenirs, comme par exemple "Mort accidentelle d'un anarchiste" (qui repose un peu sur le même principe que "Ay! Carmela" dans le sens où il s'agit d'évoquer des faits tragiques par l'humour et une certaine exubérance).

Quand on espère beaucoup d'un spectacle, il y a toujours le risque d'être un peu déçu... Mais on a parfois la chance de vivre un moment de grâce, d'un spectacle qui dépasse encore nos attentes, de prestations épatantes de comédiens dont on connait pourtant le talent mais qui nous bluffent, encore et encore! Eh bien trêve d'introduction à rallonge, "Ay! Carmela" est à placer dans cette 2ème catégorie! Waouw!

Pour une fois, et pour ne pas trop vous en dire si, comme moi, vous ne connaissez pas ce texte de Jose Sanchis Sinisterra, je ne vous expliquerai pas comment la pièce démarre. Sachez juste que la narration n'est pas linéaire au niveau de la chronologie des faits... L'histoire se passe dans le village espagnol de Belchite, pendant la guerre d'Espagne. Paulino et Carmela sont deux artistes ambulants, des artistes de variété, danseurs, chanteurs, un peu magiciens, sans grande gloire mais fiers de divertir le peuple. Ils ont été sommés de jouer leur spectacle, ou plutôt, d'improviser un spectacle, sans leurs costumes, ni leur matériel, devant les troupes franquistes et Franco lui-même ainsi que quelques invités fascistes et nazis. Et pour compléter le public, des prisonniers des brigades internationales venues soutenir les républicains et qui seront fusillés le lendemain. Faut-il accepter de jouer quand même, d'adapter le contenu des numéros pour ne surtout pas froisser les nationalistes? Ou y a-t-il des limites? Pour Paulino, l'art et les artistes ne doivent pas se mêler de politiques, et il convient avant tout de sauver sa peau. Pour Carmela par contre, jouer oui, mais pas devant n'importe qui... Deviendra-t-elle incontrôlable ou Paulino parviendra-t-il à récupérer ses gaffes? "Ay! Carmela", c'est aussi le refrain d'un chant repris par les républicains pendant cette guerre d'Espagne...

La réussite de ce spectacle, c'est de maintenir l'équilibre entre tragédie et comédie, de parvenir à nous faire rire (souvent), en assumant l'humour parfois grotesque des numéros de saltimbanques, sans nous faire oublier le contexte politique et historique, le bruit des bottes dans la salle, la vie, la violence et la mort. Et en ravivant nos mémoires. Parce que les morts n'oublient pas et ne veulent pas être oubliés?

On n'oublie pas la dureté des événements, la difficulté de décider quoi faire et jusqu'où résister, tout en cédant à la légèreté et en riant parfois aux éclats. Carlo Boso réussit à maintenir une atmosphère ni trop lourde, ni trop légère, à ne pas noyer le fond politique de la pièce sans nous y étouffer, bref à nous faire réfléchir et saisir toutes les nuances, tous les non-dits de la pièce sans que ça soit trop 'prise de tête'.

Comme je le disais en commençant, Béatrix Ferauge et Guy Pion sont magnifiques dans cette pièce. Leur jeu est incroyablement juste du début à la fin, toutes les émotions passent, ils sont drôles, apportent une sincérité totale à leurs personnages, et leur complicité mêlée de tendresse réciproque fonctionne parfaitement pour incarner ce couple d'artistes qui s'aiment malgré les engueulades (pourtant eux, contrairement à une certaine habitude cette année au Public ;) , ne sont pas en couple pour de vrai. Mais cela fait plus de 30 ans qu'ils jouent ensemble). Ils sont même crédibles dans les numéros de danse (pour le chant, ils ont l'habitude, mais je ne me souviens pas les avoir vus danser, même dans l'Opéra de Quat'sous).

Il n'y a rien à dire à part apprécier la justesse de la performance et s'incliner devant leur talent. Cela faisait longtemps que je ne les avais plus vus porter ensemble une pièce (en tenant les rôles principaux je veux dire) et qu'est-ce que ça fait du bien de les retrouver!

Vous l'avez compris, je suis complètement emballée par "Ay! Carmela" et je ne peux que vous conseiller de ne pas louper ce spectacle (qui se joue encore au Public jusqu'au 4 avril puis reprendra du 5 au 16 mai). Réservations sur le site du Public.

Rédigé par Emelle

Publié dans #Théâtre, #Bruxelles, #Coup de coeur

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