Les passagers
Publié le 16 Septembre 2022
Dans la petite salle du théâtre Le Public se joue, jusqu'au 22 octobre, un spectacle à ne pas manquer : "Les passagers".
Pourtant, quand j'ai ajouté cette pièce à mon abonnement, j'avais quelques craintes... le sujet, un attentat dans un bus à Jérusalem, me faisait peur, je craignais des "images" (mentales, hein, je me doutais bien qu'ils n'allaient pas projeter des photos ou vidéos de corps déchiquetés!) difficiles. Je ne prétendrai pas qu'il n'y a pas des moments "durs" dans ce texte, mais il s'en dégage aussi beaucoup d'humanité, de solides réflexions, et donc, ça vaut la peine de passer au-dessus d'éventuelles appréhensions pour aller voir ce spectacle très touchant.
Comme je l'évoquais, l'histoire se passe à Jérusalem. Ouest. Dans les bureaux de la police, un enquêteur juif a convoqué une femme. Jordanienne, dit son passeport, car on ne l'autorise pas à avoir la nationalité palestinienne. Elle vit de l'autre côté du mur, et chaque matin, elle passe les checkpoints pour venir place Tsahal, vendre du poisson et des crustacés (... en Israël, on a dit, pas à Dublin! Ce n'est pas la peine d'essayer de me mettre une chanson en tête, bête cerveau!). Seulement, il y a quelques jours, il y a eu un attentat qui a fait de nombreuses victimes, dans un bus. Le bus qu'elle prend plusieurs fois par semaine. Alors, forcément, la police veut lui parler, c'est un interrogatoire de routine, dit le policier. Mais elle prétend ne rien savoir, elle ne se souvient pas, il y a souvent des attentats...
Est-ce qu'elle ment? Si oui, pourquoi? Et qui a menti en premier (éternelle question, qui a commencé...)? Comment ces deux "ennemis héréditaires" peuvent-ils espérer se comprendre, faire un pas vers l'autre? Ce face à face est brillamment écrit par Frédéric Krivine. Pas de mots inutiles, pas de paroles moralisatrices ni de parti pris, parfois un peu d'humour, du cynisme, mais surtout beaucoup de vérités. Du genre difficile à entendre, car la situation est compliquée là-bas, et une solution pacifique et qui respecterait les 2 camps semble tellement loin... Et en même temps, il y a dans le texte des passages du quotidien, tendres, poétiques, qui équilibrent et offrent des respirations.
J'ai ressenti beaucoup d'empathie pour ces deux personnages. Il faut dire que les interprétations de Benoît Verhaert et Axelle Maricq sont parfaites de justesse et d'émotion retenue. La tension est palpable lorsqu'ils s'affrontent, surtout au début, et puis autre chose s'installe, la fatigue ou la lassitude de la situation les gagne, leur manière de s'affronter évolue. Je ne vous en dirai pas plus, ce serait dommage de dévoiler la direction que prennent les choses. Je dirai juste que j'ai trouvé la fin poignante. Et vraiment, je le répète, les deux comédiens sont incroyables, ils nous emmènent avec eux et sont totalement crédibles du début à la fin.
La mise en scène de Laurent Capelluto est au service de ce beau texte, assez simple, avec ses jeux de miroirs (qui n'en sont pas toujours). Elle suggère sans tomber dans le "trash", fait ressentir l'enfermement du bureau sans générer de malaise chez les spectateurs, et assure un bon rythme sans temps morts. Mention spéciale pour la musique qui accompagne le spectacle, en particulier le morceau final, très beau et qui convient parfaitement aux derniers mots de Benoît Verhaert...
Le seul éventuel regret que j'aurais, c'est que la pièce se joue dans la petite salle et pas dans la salle des voûtes, plus large (il me semble, en tout cas). L'espace scénique est vraiment étroit, et même avec des lumières basses, on voit bien les spectateurs des premiers rangs en face (la disposition a été modifiée dans la petite salle, et il y a des gradins de chaque côté de la scène, donc face à face). Ce n'est pas très grave parce que la mise en scène et le jeu des comédiens parviennent à nous happer quand même, mais bon, je pense que j'aurais préféré ne pas avoir parfois l'impression qu'il y avait foule dans ce bureau de police!
Il vous reste plus d'un mois pour aller voir ce magnifique spectacle qui fait réfléchir et ressentir, mais ne traînez pas à réserver, il y a déjà quelques représentations complètes en octobre! Infos et réservations sur le site du Public.