Juke Box

Publié le 7 Décembre 2014

Juke Box

Avez-vous déjà joué, quand vous étiez enfant, à composer une phrase à plusieurs, le premier écrivant le sujet sur un papier, qu’il plie ensuite pour cacher ce qu’il a écrit, le second ajoutant un verbe, etc ? Cette technique des cadavres exquis était chère aux poètes surréalistes, mais on peut imaginer de la décliner et la transformer pour composer une histoire à plusieurs mains. Comme me l’a rappelé l’amie d’enfance avec qui je suis allée voir Juke Box au TTO, notre prof de français de 4èmesecondaire nous avait demandé de nous livrer à ce genre d’exercice, pour la rédaction d’une histoire de quelques pages, sachant que celui qui démarrait devait aussi terminer, et ce n’était pas facile d’intégrer les divagations de nos condisciples !

C’est au même genre d’exercice que Nathalie Uffner a convié 8 auteurs. Sauf qu’il ne s’agissait pas d’écrire une petite histoire, mais bien une pièce de théâtre (avec un début, un milieu, et une fin) : chaque auteur devait écrire 10 minutes de spectacle, continuant le travail des précédents et faisant avancer l’intrigue (pour éviter la suite de sketchs sans fil rouge). C’est Dominique Breda qui démarrait (et supervisait avec Nathalie Uffner, par ailleurs metteur en scène, histoire d’assurer une cohérence générale !). Marie-Paule Kumps avait apparemment accepté le défi de terminer l’intrigue, et entre les 2, Laurence Bibot, Sébastien Ministru, Myriam Leroy, Riton Liebman, Alex Vizorek et Delphine Ysaye se sont succédé dans un ordre déterminé par le hasard. Les personnages étaient déterminés dès le départ, chaque auteur ayant également tiré au sort un comédien et rédigé une fiche décrivant le personnage qu’il interprèterait.

Vous serez d’accord avec moi, sur papier, on se dit que la possibilité que ça parte totalement en sucette est grande, que les différences de style d’écriture pourraient être trop marquées. Eh bien, pas du tout ! Franchement, le résultat est bien plus cohérent que ce à quoi je m’attendais ! Et même si l’histoire est délicieusement surréaliste, elle est construite et avance, entrecoupée de moments de chansons et play-back avec chorégraphies, qui illustrent la personnalité d’un personnage (un peu dans le style du film « Huit femmes » de François Ozon – enfin pour le procédé, pour les chansons c’est plus festif et gai(y) ;-) ).

Le point de départ est simple : une nuit de nouvel an, 7 personnages bien différents et assez (stéréo)typés (on joue avec les clichés, surtout au début, mais cela renforce les personnages et a sans doute aidé à les garder consistants en cours d’écriture) sont coincés dans une rame de métro, qui s’est détachée et est restée bloquée entre Louise et Porte de Namur… Personne ne semble répondre à leurs appels, il y a une odeur atroce dans le métro, et très vite, l’angoisse monte, entre la confrontation de 7 caractères différents et les prédictions terrifiantes formulées par l’une des occupantes du métro…

Je ne vous en dévoilerai pas plus sur l’intrigue pour ménager le suspense, mais disons que les personnages hauts en couleurs permettent des moments très drôles et des chorégraphies extravagantes, que certains rebondissements improbables (et donc inattendus) sont franchement marrants, qu’il y a quelques répliques magnifiques, cinglantes ou décalées, de vraies trouvailles hilarantes, bref, que les éclats de rire sont nombreux. Et j’ai beaucoup aimé la fin, ça fonctionne bien, Marie-Paule Kumps a eu une chouette idée ! Pas révolutionnaire mais originale et très bien amenée ! Sans doute ses années de pratique d’impro l’ont-elles aidée et habituée à trouver des chutes à des histoires où chacun a amené des éléments à réconcilier ?

Si, du côté des personnages, il y a quelques inégalités et que certains me semblent avoir été un peu plus développés que d’autres, un peu plus en profondeur, du côté des comédiens, rien à redire ! Ils sont tous au niveau et se démènent avec énergie pour provoquer les rires, par une intonation, un accent, une mimique…

Bon, si je suis un peu tatillonne, je dirais qu’il y a quelques petites baisses de rythmes à certains moments, mais ce n’était que la 2ème représentation je pense, et puis ce n’est pas ce que j’en retiens, globalement j’ai pris beaucoup de plaisir à voir jouer cette chouette troupe, complémentaire et sympathique ! Mention spéciale à Emmanuelle Matthieu, qui interprète Fortunata, l’inquiétante medium (enfin… vous verrez) qui semble en savoir beaucoup trop sur ses compagnons d’infortune : entre son accent bruxellois et ses mimiques (qui rappelleraient presque la Madame Chapeau de Jean Hayet) elle est géniale et vraiment très drôle. Julie Duroisin excelle aussi dans le rôle d’une comédienne … euh… expérimentale ? et légèrement frustrée… Et je ne sais pas lequel des auteurs a rédigé sa tirade où elle raconte son rêve, mais quel fou rire !! Pour compléter la distribution, il y a Myriem Akheddiou (en fliquette bourrue aux antipodes de la comtesse hyper féminine qu’elle jouait récemment dans ‘le portrait de Dorian Gray), Stéphane Fenocchi (parfaitement angoissé, en chercheur de l’ULB qui perd pied), Aurelio Mergola (en « grande folle » excessive(ment drôle), du genre à son personnage de veuf éploré dans « Ciao Ciao Bambino » si ma mémoire est bonne), Bwanga Pilipili (j’ai moins accroché à son personnage un peu effacé pendant une partie de la pièce, mais elle danse très bien !) et Pierre Poucet (en fêtard flamand qui drague tout ce qui bouge, qu’est-ce qu’il est drôle lui aussi !).

Enfin, j’ai aimé l’idée originale pour faire patienter les spectateurs en attendant le début : une demoiselle chante en s’accompagnant à la guitare, et fait la manche (bah oui on est dans le métro !).

En résumé, « Juke Box » est une très bonne comédie (un peu) musicale, pleine d’énergie, de surprises, originale, avec un procédé d’écriture inédit et qui a certainement amené un plus dans la créativité sans nuire à la cohérence (et rien que pour ça, chapeau !). Un spectacle que je vous recommande pour rire ensemble en cette période de fêtes de fin d’année ! (bon par contre pour les non-Bruxellois, j’admets qu’il y a quelques gags ou allusions qui risquent de vous échapper, mais ce n’est pas grave !)

Infos et réservations (et photos et vidéos) :http://www.ttotheatre.com/programme/jukebox

Rédigé par Emelle

Publié dans #Théâtre, #Bruxelles

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